Le retour des premiers déportés en France est repris par la presse. Les journaux locaux citent les noms des survivants rapatriés. Ces derniers, à leur retour, livrent des noms de leurs camarades décédés dans les camps et qui ne reviendront pas. La population suit cette actualité avec inquiétude et espoir, guettant dans la presse une mention de ces proches déportés dont elle est sans nouvelles.
Face aux persécutions subies par les résistants et leurs familles, les organisations de Résistance se dotent rapidement de véritables services d'entraide clandestins afin de leurs porter assistance. Rassemblés au sein d'un organisme d'ampleur nationale voulu par la délégation générale du Comité français de Libération Nationale (CFLN) et grâce à l'action du Révérend-Père Chaillet, de Marcelle Bidault (Combat) et de Marie-Hélène Lefaucheux (OCM), ces services d'aide forment le Comité des oeuvres sociales des organisations de Résistance (COSOR). Celui-ci est institué en février 1944 et poursuit jusqu'à la Libération son action sociale auprès des internés, déportés et leurs familles, apportant une aide matérielle mais aussi morale.
En 1945, le COSOR sort de l'ombre. Déclaré officiellement en février 1945, il reçoit du gouvernement la mission de "secourir sans distinction de race, d'opinion ou de confession, toutes les détresses nées de l'oppression nazie".
Si la législation prévoyait des pensions d'aide aux déportés, veuves, orphelins, etc, celles-ci s'avèrent être souvent insuffisantes. La prise en charge par l'Etat de la plupart des victimes de la répression n'a pas mis fin à l'action du COSOR mais l'a modifiée. En effet, celle-ci ne s'exerce plus indistinctement sur des catégories entières de victimes mais plutôt sur les multiples cas isolés échappant partiellement ou totalement au bénéfices de la législation des pensions comme par exemple les orphelins d'étrangers ayant combattu dans la Résistance.
Les troupes alliées de libération puis les autorités françaises assurent la prise en charge médicale et le rapatriement des survivants, non sans certaines difficultés logistiques : trouver des lieux d'accueil, des moyens de transport appropriés au vu de l'état sanitaire des déportés.
Alerté de la libération du camp de Dachau en mai 1945, le Révérend-père Fleury responsable du COSOR, lance une expédition destinée à récupérer des déportés poitevins.
Parti de Poitiers le 14 mai à bord de deux cars et d'un camion, il prend la route avec une équipe de volontaires. 65 rescapés sont ramenés à Poitiers et accueillis en grande pompe sous les yeux ébahis de la foule rassemblée Place d'Armes ce 31 mai 1945.
Source : archives privées V.Favreau.
Le retour des déportés est vécu difficilement. La population effrayée par l'apparence des survivants manifeste de la méfiance ou au contraire de la compassion et de l'aide. Certains, marqués par 4 ans de guerre refusent d'entendre plus de récits d'horreurs, attitude qui pousse ainsi de nombreux déportés à taire leur expérience. D'autres au contraire viennent par centaines, accueillir les rescapés et leur rendre hommage.
Témoignage recueilli lors de la conférence organisée par le Centre Régional "Résistance & Liberté" le 26 janvier 2009
« Je suis entrée dans la Résistance à 17 ans. J’ai été arrêtée je n’avais pas encore 19 ans mais je considère qu’à cet âge là j’étais déjà une adulte. J’avais ma chambre d’étudiante à Rennes, j’appartenais à un réseau, je transmettais des plans des défenses côtières, etc. Au retour, je rentre avec ma mère qui était N.N.* donc nous nous étions retrouvées au camp, mon père était décédé. Je n’ai pas pu tout de suite reprendre mes études. J’ai alors tout écrit car la population ne comprenait pas très bien ce qu’on leur racontait. Je me souviens d’une voisine en Bretagne qui me disait « Ah ma petite, si vous saviez comme nous avons eu faim ici ! Nous avions bien les légumes du jardin mais… ». Une autre, plaintive : « Ah ma pauvre petite, vous avez perdu là les plus belles années de votre vie ». Encourageant.
Et il y avait des « collabos » également. Je me souviens d’une dame pétainiste. Elle avait un fils, un de mes camarades de 18 ans qui décide de rejoindre de Gaulle. Il s’enfuit vers l’Espagne pour rejoindre l’Angleterre. Imaginez que cette mère pétainiste est allée chercher la police française pour courir derrière son fils et le rattraper ! Heureusement, il avait déjà réussi à passer. Après la guerre, il revient officier de Marine. Pour cette dame grande bourgeoise, ça présente bien. Mais moi je rentre du camp. Alors la petite camarade, on ne l’accueille pas dans la famille. Elle dit à des amis communs : « Tout de même, on ne reçoit pas volontiers dans sa famille des rescapés de Ravensbrück. Quelles maladies elle nous rapporte ? Quelle promiscuité pour une jeune fille de 18 ans ! Ah non, ce n’est pas une éducation pour une jeune fille. ». Alors maintenant j’en ris avec le recul. C’est tellement étroit et stupide. Voilà ce qu’on pouvait entendre à l’époque. »
* « Nuit et Brouillard » : procédure nazie établie en 1942 pour désigner les déportés politiques destinés à disparaître sans laisser de traces.
Déporté pour faits de résistance et rescapé du camp de Dora, Gérard Pichot témoigne de sa prise en charge médicale alors qu'il est encore en Allemagne, puis son voyage de retour et sa convalescence auprès de sa famille retrouvée, à Tourtenay.
Gérard Pichot devant chez lui en tenue de déporté. Tourtenay - Juillet 1945
© Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophes
Témoignages recueillis lors de la conférence organisée par le Centre Régional "Résistance & Liberté" le 26 janvier 2009
Marie-Jo Chombart de Lauwe : « Il y a eu des cas très différents. Certains ont été rapatriés, soignés, etc. Les « petits lapins »* que j’ai connus puisqu’elles vivaient dans le même block que moi, on les a sauvés à la fin car le commandant du camp les cherchait pour les faire disparaître. Certaines ont été soignées même jusqu’aux États-Unis mais la plupart avaient tellement d’infections qu’elles ont été handicapées toute leur vie. Les nouveau-nés ont été emmenés par la Croix-Rouge de Ravensbrück en Suède. Parmi les 21 bébés français, trois ont survécu. Deux sont partis mourants vers la Suède. Le médecin du convoi les a nourris avec des biberons de thé. Ils ont été sauvés, ont grandi et sont aujourd’hui grands-parents.
* Détenues de Ravensbrück qui ont subi des expérimentations pseudo-médicales.
Et je voudrais vous raconter l’histoire des Rosenberg : famille juive à Ravensbrück, trois enfants. De Ravensbrück, ils sont partis en convoi vers Bergen-Belsen, libérés par les Anglais. Pendant le retour, la mère disparaît. Les trois enfants reviennent en France. Deux mois après, la mère rentre. Ils ont repris un peu de force et ont été pris en charge. Il y a une vingtaine d’années, je faisais une conférence à Villeneuve d’Ascq, près de Lille, sur les groupes néonazis et une jeune femme est venue me trouver : « Je suis Lili Rosenberg, l’aînée de ces trois enfants sauvés. Je n’avais pas voulu témoigner mais quand je vois qu’ils recommencent, je vais parler ». Maintenant, elle raconte sa vie d’enfant à Ravensbrück. Son petit frère, André, qui avait entre 3 et 4 ans, est revenu en 1945 rachitique et avec des abcès. Soigné, il a grandi et il est devenu professeur de lettres. En l’an 2000, il est venu me trouver et m’a dit : « Avec ce que j’ai vécu, je vais faire une thèse sur la déportation des enfants juifs et tsiganes de France. ». Il a fait une thèse de mille pages, soutenue à la Sorbonne début 2000. C’est quand même une belle histoire.»
Andrée Gros-Duruisseau : « Personne ne nous comprend. On nous pose des questions tellement idiotes. Mon père avait l’habitude d’écrire ces souvenirs alors il a commencé à écrire mon histoire dans un cahier et j’ai continué. Je ne pouvais pas raconter à ma mère… Il y a quelques années, j’ai retrouvé ce cahier. Le Centre Départemental de Documentation Pédagogique de la Charente a réussi à me convaincre de retranscrire mon cahier. Cela a été long. Il a été publié seulement l’année dernière, en octobre 2008. Ce cahier a été ma thérapie. Mon secret aussi.
Marie-Jo Chombart de Lauwe : « Il faut savoir que beaucoup de résistants ont fait des dépressions quelque temps après la guerre. »
Andrée Gros-Duruisseau: « Oui, à mon retour, j’ai été soignée et environ 18 mois après, j’ai fait une dépression. C’est très dur pour une jeune fille de faire une dépression. Je ne m’en sortais pas. J’ai été hospitalisée. On voulait même me mettre dans un centre psychiatrique. Et ce sont des chefs de la Résistance de Melle qui sont venus me sortir de l’hôpital et m’ont envoyée en colonie de vacances avec des jeunes. Et c’est là que j’ai rencontré un moniteur qui est devenu mon mari. »
Marie-Jo Chombart de Lauwe : « C’était très différent d’aujourd’hui. Les otages qui sont libérés reçoivent le soutien de psychologues, etc. Nous n’avions pas tout cela.
Une fois mariée, je me suis retrouvée enceinte. Pour moi le drame, c’était pendant des mois de voir des bébés morts dans mes bras. Car quand nos bébés mouraient à la chambre des enfants (kinderzimmer), à tour de rôle, l’une ou l’autre, nous emmenions ces petits cadavres dans une cave avant le crématoire. Alors je peux vous dire que c’est ça que j’ai connu de pire. On descendait là-dedans et il y avait des morts depuis vingt-quatre heures. C’était des tas de femmes comme vous voyez dans les films. Souvent, ces squelettes avaient les bras et les jambes rouge violacé : mortes de froid. J’ai vu des horreurs car les jeunes médecins s’exerçaient à des césariennes et ça ne marchait pas. Il y avait la tablette pour les dents en or arrachées. C’était un cauchemar. Et je descendais les bébés morts. La première fois que je suis descendue, j’étais en larmes. C’était horrible.
J’ai eu une petite fille facilement, mais je me relevais la nuit pour voir si elle n’était pas morte. Ça a été une adaptation. Ce sont mes enfants qui m’ont permis de me réadapter. En fait le travail avec les enfants, les enfants difficiles, je ne les ai pas choisis, ils sont venus me chercher. Et cela a continué ensuite. J’ai travaillé sur l’enfance inadaptée** et après sur le plan socioculturel, sur la télévision et les jeunes, etc. »
* L'expression « enfance inadaptée » est admise en France pour désigner l'ensemble des sujets jeunes, y compris les jeunes adultes, qui ont besoin, en vue de leur intégration dans la communauté active, de mesures médicales, sociales, pédagogiques et éducatives différentes de celles qui sont prévues pour l'ensemble de la population.
Félicia et des soeurs Thérèse et Rosette sont originaires de Lorraine. Réfugiées à Berthegon au début de la guerre, c'est là qu'elles sont arrêtées avec leur mère Marie en juillet 1941 car juives. Internées au camp de la route de Limoges à Poitiers, les jeunes filles en sont libérées en novembre 1941. Leur mère est déportée à Auschwitz le 20 juillet 1942, d'où elle ne reviendra pas. Félicia témoigne de l'absence et de la difficulté de reconstruire sa vie après ce drame.
Découvrir son témoignage sur le site du Souvenir français de Loudun
(Vidéo "Pensionnat à Egletons - OSE - Libération - Mariage - Mr Minck" notamment)
Témoignage recueilli lors de la conférence organisée par le Centre Régional "Résistance & Liberté" le 26 janvier 2009
« J’ai tout écrit. J’ai projeté hors de moi ces souvenirs. Mais je n’ai pas voulu montrer tout de suite ce manuscrit. C’était trop personnel. Et puis j’ai suivi divers cours parce que j’avais besoin de réfléchir. Un jour, je rencontre un homme et je me suis dit : « Celui-là il comprendra. ». C’est la seule personne qui n’ait jamais lu mon manuscrit. Et cet homme est devenu mon mari : Paul-Henri Chombart de Lauwe. Il était chercheur et m’a encouragée à reprendre mes études. Au début je me suis demandée si j’allais y arriver. Et puis j’ai repris les études : sciences humaines, éthologie, psychologie, etc. Et je me suis dit : « Maintenant que j’ai une formation, je vais rentrer au CNRS*. »
En 1998, un ami qui était le rédacteur du Patriote Résistant, m’a demandé de faire une préface pour des notes d’un de nos camarades. À l’époque, on disait qu’il fallait publier les témoignages. Je lui ai donné le mien et il l’a publié. J’ai écrit une réflexion à la fin sur ce que j’avais vécu. Mais seulement en 1998. »
* Centre National de la Recherche Scientifique
Face à l'incompréhension d'une part de la population face aux souffrances endurées par les déportés dans les camps, ceux-ci se regroupent au sein d'associations d'anciens déportés ou fondent les amicales des camps. Ces structures leur permettront de maintenir des liens étroits, d'échanger sur leurs expériences et de porter la mémoire de cette tragédie auprès de la population et des générations suivantes.
Le lien tissé entre certains détenus dans les camps, par le partage de cette terrible expérience et les gestes de solidarité, reste extrêmement fort et vivace. Ida Grinspan évoque les rendez-vous de l'amicale d'Auschwitz et les liens qui lient les familles de déportés.