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Après la libération des camps nazis, rendre la justice

Témoignages, récits des déportés et archives, photographies et documents recueillis par les armées de Libération, etc, donnent un aperçu de l'horreur du système concentrationnaire et de l'étendue des massacres perpétrés. La volonté des puissances vainqueurs est de juger équitablement les responsables. En 1946 s'ouvrent les procès de Nuremberg destinés à juger les crimes nazis. Delphin Debenest est membre de la Délégation française et participe au réquisitoire.

 Rendre la justice

 

Delphin Debenest, procureur adjoint au procès de Nuremberg

Les états de service de Delphin Debenest justifient sa nomination au sein de la délégation française à Nuremberg en tant qu’avocat général chef de section, c’est-à-dire procureur-adjoint. Il collabore tout particulièrement avec Charles Dubost, procureur général adjoint.

Des chefs d'accusation inédits

Le procès s’ouvre le 20 novembre 1945. Dans une conférence prononcée à Poitiers le 3 juin 1946, pendant un bref séjour en France, D. Debenest explique

" L’acte d’accusation relevait à l’encontre des accusés quatre chefs d’accusation :
1 / l’organisation et l’exécution d’un plan concerté ou complot en vue de commettre des crimes.
2 / Les crimes contre la paix par la préparation et le déclenchement de guerres d’agression.
3 / les crimes de guerre.
4 / Les crimes contre l’humanité. "

Ce dernier chef d’accusation est une grande innovation dans le droit international. Il est défini comme suit par le Statut du Tribunal Militaire international en application de l’accord de Londres du 8 août 1945 entre les Alliés :

« Les crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux »

La notion de crime contre l’humanité recouvre le crime de génocide, en premier lieu le judéocide, la Shoah, l’extermination de plus de cinq millions de Juifs. Déclaré imprescriptible, le crime contre l’humanité a été le fondement juridique de nombreux procès postérieurs à Nuremberg jusqu’au récent procès Papon en France.

 

Delphin Debenest explique le travail des magistrats

« Les ministères publics se partageaient l’accusation de la façon suivante :

Le premier chef d’accusation fut pris par les Etats-Unis, le deuxième par l’Angleterre, la France et l’URSS se partageaient les troisième et quatrième chefs d’accusation. La France se chargea particulièrement des crimes commis dans la partie ouest de l’Europe, d’après une ligne tracée du nord au sud et passant par Berlin, l’URSS des crimes commis à l’est de cette ligne.

La tâche de notre Délégation était donc de présenter et soutenir l’accusation non seulement des crimes commis en France et dans d’autres pays sur des Français, mais encore des crimes commis en Belgique, en Hollande, au Luxembourg, au Danemark et en Norvège ainsi que des crimes commis dans la partie occidentale de l’Allemagne sur des étrangers.

Ces crimes, c’était : la déportation, les tortures, les massacres, les destructions de villes et villages, la lutte sauvage contre le maquis, les mauvais traitements aux prisonniers de guerre, le travail obligatoire en Allemagne, le pillage économique et la tentative de nazification et de germanisation des pays occupés

Notre premier travail consista à réunir et à classer une documentation qui nous parvint des services des crimes de guerre à Paris et des différents ministères. D’autre part les Alliés – surtout les Américains – avaient à leur disposition une importante documentation : plus de deux mille documents. Cette documentation, d’un côté comme de l’autre, provenait d’archives allemandes abandonnées et découvertes au moment de l’avance des troupes alliées, de témoignages recueillis et de rapports des gouvernements des pays occupés. […] »

Déroulement du procès

Discours du chef de la délégation américaine

Le 20 novembre, c’est-à-dire un mois après la lecture de l’acte d’accusation, conformément au Statut, le procès commençait par l’accusation américaine.

M. Jackson, le chef de la délégation américaine ouvrait le feu de l’accusation en ces termes :

« Le privilège d’inaugurer dans l’histoire le premier procès pour ces crimes contre la paix du monde impose de graves responsabilités. Les crimes que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédités, si néfastes et dévastateurs, que la civilisation ne peut tolérer qu’on les ignore, car elle ne pourrait survivre à leur répétition. Que quatre grandes nations exaltées par leur victoire, profondément blessées, arrêtent les mains vengeresses et livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la loi est l’un des plus grands tributs que la Force paya jamais à la Raison. »

Rôle de D. Debenest

Au cours du procès, D. Debenest a notamment la responsabilité de préparer le dossier d’accusation concernant les pseudos expériences médicales. Il réunit une documentation qui démontre la complicité de nombreux médecins allemands dans l’utilisation de cobayes humains pour des expériences dont un bon nombre avaient pour objet de servir à perfectionner le matériel de la Wehrmacht et de la Luftwaffe, une preuve supplémentaire, si besoin était, qu’une distinction entre SS et Gestapo d’une part et Armée d’autre part serait totalement absurde.

« Le trait commun de ces expériences atroces était leur but pratique : aboutir à des conclusions pouvant être utilisées dans la thérapeutique des soldats, et notamment des aviateurs ayant subi des accidents dus aux basses pressions atmosphériques ou aux basses températures. L’Oberkommando der Luftwaffe* dont l’accusé Goering était le chef, devait bénéficier directement du résultat éventuel de ces crimes.

Le gouvernement du Reich admettait donc officiellement la légalité de pareilles expériences.

Et toutes les élites du parti faisaient de même. Le mépris de la personne humaine et le principe que la fin justifie les moyens qui sont la base de la Weltanschauung nazie (c’est la conception nazie du monde) devaient fatalement avoir cette conséquence. » fin de citation.

Nous sommes en présence d’un Etat criminel bénéficiant d’un large consentement dans la population et d’une complicité massive dans les élites, médicales en particulier avec la moitié des médecins inscrits au parti nazi et 10% membres des SS.»

Enfin Delphin Debenest intervient en audience à plusieurs reprises, notamment pour interroger Seyss-Inquart, chef des nazis autrichiens, gouverneur de l’Autriche après l’Anschluss, adjoint de Franck en Pologne de 1939 à 1940, puis Commissaire du Reich aux Pays-Bas jusqu’à la fin de la guerre.

Le procès de Seyss-Inquart

L’interrogatoire mené par Debenest met en évidence le rôle de l’accusé dans l’organisation du travail forcé en Allemagne, l’exécution d’otages et la déportation des Juifs. Bien sûr, comme d’autres accusés, Seyss-Inquart se défausse la plupart du temps de ses responsabilités sur Hitler, Himmler, les SS et la Gestapo.

Nous voici donc en audience le 11 juin 1946. Delphin Debenest interroge Seyss-Inquart :

M. DEBENEST.- Toutes les mesures de représailles n'ont-elles pas été prises avec votre accord ?

ACCUSE SEYSS-INQUART.- Les mesures de représailles ainsi que ses proclamations étaient de son ressort. La plupart du temps, je n’en n'avais pas connaissance, ou par la suite seulement. Il n'y a eu de ma part aucun arrêté concernant ces mesures. Je ne puis que vous répéter que c'était là l’exécution d'un ordre de Hitler transmis à la Police par Himmler.

M. DEBENEST.- Étiez-vous partisan de ces mesures de représailles ?

ACCUSE SEYSS-INQUART.- Il est bien évident qu'il fallait agir contre les mouvements de résistance, les sabotages, etc. Il n'y avait pas d'autre moyen d’intervention que de faire arrêter les gens par la Police, de les faire juger par le chef supérieur des SS* et de la Police et de les faire exécuter par la Police. Je ne pouvais pas me dresser contre ces mesures. Vous pouvez interpréter cela comme un accord de ma part. J’aurais préféré, pour ma part, qu'ils passent devant des tribunaux.

Le procès de Nuremberg s’achève le 1er octobre 1946

Comme 10 autres accusés, Seyss – Inquart est finalement condamné à mort et exécuté le 16 octobre 1946.

 

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