Lieu de détention majeur de la région Poitou-Charentes - Vendée, et sous entière autorité allemande à partir de l’été 1942, la prison de la Pierre-Levée, située en plein cœur de Poitiers, étouffe de ses hauts murs les cris des résistants interrogés et torturés dans ses sous-sols par les services du SIPO-SD, de la Section des affaires politiques et parfois de la gendarmerie française.
A partir de l’été 1942, les tribunaux allemands prennent le pas sur la justice française.
A Poitiers, le tribunal militaire allemand de la Feldkommandantur 677 est chargé de juger toutes les affaires portant atteinte à l’autorité de l’occupant dans les départements de la Vienne, et des Deux-Sèvres.
Au milieu de l’année 1942, cette juridiction est «coiffée» par la Sicherheitsdreist Polizei, organisme SS chargé de la sécurité de la Wehrmacht, dont le siège était installé 13 rue des Écossais à Poitiers, une antenne à Châtellerault, jumelée avec la Gestapo et une autre à Niort, rue Alsace Lorraine.
Les motifs d’incarcération sont nombreux (droits communs, menées gaullistes, activités antinationales, détentions d’armes, activités communistes…). Les membres des principaux réseaux et mouvements de résistance arrêtés dans la région Poitou-Charentes Vendée transitent par la prison de la Pierre-Levée, avant leur départ pour l’univers concentrationnaire via le camp d'internement de Compiègne Royallieu.
Les conditions de détention sont épouvantables. Tel en témoigne Gérard Pichot (1921-2010), membre du mouvement de Résistance Organisation civile et militaire détenu en ce lieu du 19 août 1943 au 12 janvier 1944 avec quarante-deux autres membres de son groupe arrêtés à l’été et l’automne 1943 dans le nord Deux-Sèvres par les services du SIPO-SD et de la Feldgendarmerie.
« Encadré par les agents de la Gestapo qui ont procédé à mon arrestation le matin même, je franchis les portes de la prison de la Pierre-Levée dans la soirée du 19 août 1943. Face à moi, une rotonde, des escaliers métalliques conduisant aux deux étages, et de part et d’autres, un alignement de cellules. Je pénètre dans un univers effrayant. Froid. Violent. Les cris des détenus me glacent le sang […] Encadré par des gardiens, je gravis l’escalier métallique conduisant au premier étage et longe le couloir jusqu’à la cellule 33. Une toute petite pièce. Un vasistas dans la partie supérieure du mur. Trois détenus dans 9m². L’heure du réveil est à 6h suivie du rangement de la cellule (pliage des paillasses pour optimiser le peu d’espace dévolu), de la distribution d’un ersatz de café fait d’eau et d’orge grillée décortiquée, du ménage de la geôle enfin, sous haute surveillance, nos gardiens nous conduisent aux toilettes […] Dans des courettes attenantes, nous sommes autorisés à marcher quelques minutes. Que les muscles sont douloureux. En raison de la surpopulation (jusqu’à sept par cellule), nous sommes en permanence recroquevillés. […]
Que j’ai eu faim à Poitiers. Le matin, les gardiens distribuent un quart d’une boule de pain d’un kilogramme, à midi un bouillon de légumes contenant de rares morceaux de carottes et de rutabagas, et le soir une soupe. […] Le froid est quotidien. Le chauffage central ne fonctionne pas. […] L’hygiène est effroyable. La douche est autorisée qu’une fois par semaine. Les puces envahissent les cellules et les paillasses. […] L’attente est interminable dans les cellules. Le temps s’égrène dans la crainte d’un départ pour Biard. Conserver la notion du temps n’est pas facile. […] Pour parvenir à nos aveux, les autorités allemandes nous isolent, placent dans les cellules des mouchards, frappent et torturent. Dans les tout derniers jours du mois d’octobre 1943, un gardien me conduit dans une cellule au rez-de-chaussée. La cellule des instructions. Sont présents un sous-officier, deux agents de la Gestapo et un juge d’instruction installé derrière un bureau. Je dois rester debout devant la chaise, les mains appuyées sur le dossier, le dos voûté en avant. […]
Toute la première journée de l’interrogatoire, les coups de barre fer s’abattent sur mon dos. Le soir de ce premier interrogatoire, je suis placé dans une cellule qui n’est pas la mienne. Je flaire le piège. J’assène de violents coups de pieds dans la porte. En ricanant le gardien m’extraie de la cellule et me replace dans la mienne. Un quart d’heure plus tard, il vient me chercher à nouveau pour une confrontation avec deux membres de l’équipe de Thouars dans la cellule d’instruction. L’un des deux ne dira rien malgré les coups qui s’abattent sur lui pour nous faire avouer. A l’issue de cette confrontation, je suis placé au mitard dans les sous-sols de la prison. Quand je comprends où je suis conduit, je suis persuadé d’être battu jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le soir, il faut entendre les cris, les hurlements de souffrance des détenus résonner dans la prison. C’est effroyable. Là, pendant trois jours, sans manger, ni boire, je suis attaché sur une planche inclinée. Le poids du corps vous fait glisser. La souffrance est terrible. Il est impossible de dormir. Des cris des autres cellules résonnent. Les coups des soldats parfois ivres s’abattent sur les corps. Au bout de ces trois jours, je suis ramené dans la cellule d’instruction où l’interrogatoire reprend. Je continue à nier tout en bloc. Pour conclure, le juge d’instruction me précise qu’ils savent tout avant de me tendre une déposition rédigée en allemand et exigeant que je la signe. Je refuse. Replacé dans la cellule 21, les jours passent jusqu’au 10 décembre 1943 où je suis transféré pour la journée à la caserne Du Guesclin avec mes autres compagnons d’infortune du mouvement de Résistance Organisation Civile et Militaire. Debout, sans bouger, sous la surveillance de nos gardiens, nous passons la journée à attendre dans la cour de la caserne. Ils nous informent qu’un tribunal allemand juge nos responsables. Au terme de la journée, nous remontons dans les camions et sommes tous placés dans la cellule B, la cellule dite des condamnés à mort jusqu’au 12 janvier, date de notre transfert pour le camp de transit de Compiègne-Royallieu avant notre transport pour Buchenwald le 22 janvier 1944. »