Centre Régional Résistance & Liberté

Le STO, appui pour la Résistance ?

Entrée en guerre contre l'URSS à partir de 1941, l'Allemagne accroît considérablement son besoin de main d'œuvre. Elle puise celle-ci dans les pays qu'elle occupe, d'abord sur base du volontariat puis par la réquisition.
La promulgation de la loi instaurant le Service du travail obligatoire favorise un climat d'opposition.

Avant 1943, le travail en Allemagne

Plusieurs mesures résultant de la collaboration économique entre le Régime de Vichy et l'Allemagne nazie visaient déjà à fournir des travailleurs qualifiés pour l'effort de guerre de l'occupant. Le 22 juin 1942, l'État français crée "La Relève" qui  prévoit le retour d'1 prisonnier de guerre français en échange du départ pour l'Allemagne de 3 ouvriers. Cette mesure est un échec. L'État français promulgue la loi sur le Service du travail obligatoire le 16 février 1943. Elle fut précédée en septembre 1942 par la loi sur l'orientation et l'utilisation de la main-d'oeuvre.

Le Service du Travail Obligatoire (STO)

Au début de l'année 1943, suite à l'envoi de troupes allemandes supplémentaires sur le front russe, Fritz Sauckel [6] ordonne que soit envoyé en Allemagne un contingent de 250 000 travailleurs supplémentaires sous trois mois. Par la loi du 16 février 1943, l'État Français instaure le Service du Travail Obligatoire (STO) qui vise tous les jeunes nés en 1920, 1921, 1922.

L’instauration du STO est un véritable choc pour la population française. Un sentiment de refus gagne l'opinion. Les manifestations spontanées devant les gares à l’occasion des départs de jeunes hommes requis pour travailler en Allemagne se multiplient et se développent jusque dans les plus petites localités du département. Rapidement, les mouvements dénoncent ces réquisitions. Par la voie des journaux et tracts clandestins ou affiches artisanales placardées de nuit sur les murs, ils incitent les jeunes gens à fuir les réquisitions. La fuite est alors synonyme de clandestinité.

Échapper à la réquisition

Dans le département des Deux-Sèvres, dès septembre 1942, le mouvement « Résistance » [7] organise, grâce à des complicités dans les services préfectoraux et les administrations, le refuge pour de nombreux réfractaires. Le nombre de départs au titre du STO ne cesse de diminuer malgré les mesures répressives (menaces sur la famille du réfractaire, amende, etc.).

Les réfractaires trouvent refuge auprès des agriculteurs ou des exploitants forestiers qui peuvent être engagés dans des organisations de résistance. Abrités dans les fermes, ils participent aux travaux agricoles. Ces groupes, constitués dans la clandestinité, concourent à la naissance des premiers maquis et renforcent les troupes de la Résistance. Ainsi, Chicheville, village de la commune du Beugnon, semble avoir été un lieu de passage et de refuge pour les réfractaires en 1943. Tous ont rompu le lien avec leurs familles et se retranchent dans les bois où ils vivent et dorment. La lutte armée caractérise l’action des maquis.

Témoignage

Le Lieutenant-Colonel Robin, Ex-Chef départemental des Francs-Tireurs et Partisans Français des Deux-Sèvres témoigne à Dijon, le 6 avril 1946, du rôle joué par Maurice Croisé à Chicheville (79).

« Dès le début de 1941, Maurice Croisé entre dans la "Résistance". [...]

En 1942, [...] il facilite la création d'un premier maquis de réfractaires dans la forêt de Secondigny toute proche, fournissant à celui-ci, outre le matériel, tout le ravitaillement nécessaire.

En 1943, de nombreux réfractaires du STO se présentent chez Maurice Croisé. Ils sont hébergés puis dirigés sur des refuges sûrs. Certains sont mêmes conservés par lui comme employés agricoles. Environ 1500 hommes défilent ainsi dans la ferme Croisé et échappent au STO. »

Le Noirvault, un refuge pour les réfractaires

Extrait du témoignage de Guy Micheneau, habitant du Noirvault

Témoignage recueilli en décembre 2007

« Outre les enfants juifs, le village porte assistance à Jean Koenig, Sam Leblond, René Marty et Jean Rousseau. Ces deux derniers sont venus se cacher pour fuir le STO. Les réfractaires au STO participaient aux travaux des champs. Nous cultivions les genêts pour faire des fagots. Nous avons creusé un vaste trou dans l’un des champs à l’écart du village, au cas où…. Les trois réfractaires se sont cachés là pendant plusieurs jours après la descente de la Gestapo dans le village au printemps 1944. Nous allions leur porter de la nourriture le soir et allions les voir pour les veillées.

Le Noirvault avait été un point de regroupement avant qu’ils ne partent dans le maquis notamment « les Chouans » qui s’est formé dans le département de la Vienne. Ils ont participé à l’attaque de convois allemands à Lussac-les-Châteaux lors des combats de la libération. A la suite de cette attaque, ils sont arrêtés et déportés. Seuls Jean Rousseau survit à la déportation. »

Extrait du témoignage de Jean Rousseau, réfractaire STO caché au village du Noirvault (79)

Témoignage recueilli à l'occasion du 40ème anniversaire de la libération de Moncoutant – septembre 1984

« Mon entrée dans la résistance : la distribution des premiers journaux clandestins à Paris. Première alerte. Je suis de la classe 42. C’est à dire celle qui devait faire son service militaire puisqu’elle avait 20 ans et cela s’est transformé en service du travail obligatoire, le fameux STO. En ce qui me concerne, ma décision était prise avant puisque j’avais pu collaborer à cette distribution de journaux et de tracts clandestins à Paris dans le métro, etc. Cela m’a amené tout simplement à entrer dans la clandestinité. D’abord parce que j’étais pisté. Deuxièmement parce que je refusais le service du travail obligatoire. Et le hasard a voulu, dirons-nous, qu’à travers des pérégrinations j’arrive à Moncoutant. On arrive toujours avec des points de chute. J’avais un point de chute à Moncoutant.

 Que faisiez-vous à Moncoutant ? Vous attendiez une mission ?

 C’est à dire que dans un premier temps on essaie de se faire oublier. D’abord on se cache. Et là ? J’ai été caché à la Cournelière, dans une famille, la famille Roy, par l’intermédiaire du pasteur Riebel et juste après par le pasteur Casalis. Il fallait d’abord se faire un peu oublier, se cacher. Et puis après, différents contacts ont pu avoir lieu entre autre avec mes anciens camarades et c’est comme ça que j’ai été appelé à participer à deux parachutages à l’insu de tout le monde. Mais également avec un contact ici sur Moncoutant. Il ne faut pas oublier que la Résistance à Moncoutant a commencé très tôt puisque ce groupe de résistants a été complètement démantelé au cours de l’année 1943. Au printemps 1944, avec Daniel[1], nous avons rejoint le groupe « Le Chouan »[2].

Vous même avez-vous été arrêté ?

  J’ai été arrêté au moment où la libération s’effectuait. Nous avons été arrêtés avec Daniel dans un coup de main. A Lussac-les-Châteaux. Alors on s’est heurté à une division blindée qui se retirait vers le mur de l’Atlantique et nous étions neuf gars avec simplement des fusils qui marchaient plus ou moins bien, des grenades et un revolver. Alors on a fait ce que nous avons pu et ce qui devait arriver est arrivé. Alors nous avons été arrêtés. Envoyés pour être fusillés à la carrière de Lussac. Et puis on n’a pas été fusillé. Nous avons été tabassés, interrogés. Et après 3h, au bout du pont à Lussac-les-Châteaux, là, les miliciens, donc des Français, voulaient nous pendre. Les cordes pendaient des arbres. Et nous n’avons pas été pendus. On était le nez dans la terre, les mains liées derrière le dos, ils nous sautaient sur le dos, sur la tête. On a été foutu dans un camion, sous des pneus, bâché, ficelés comme des saucissons et on est arrivé à la Pierre Levée à Poitiers [8]. Là, la réception a commencé : les interrogatoires, la bastonnade, puis pour certains la torture. Et puis, mes camarades, puisque sur le groupe nous étions 10 (9 ont été arrêtés et un a réussi à s’échapper), sont partis en direction de Buchenwald [9] (je l’ai su après). Quant à moi, j’ai été gardé, en réserve certainement, un traitement spécial nouvel interrogatoire, condamnation à mort. Et puis un beau matin on s’en va […]

Je pense que peu nombreux étaient les résistants qui pensaient aux camps de concentration car peu savaient que cela existait. Par contre, nous étions bien placés pour savoir que les tortures et les exécutions existaient puisque des copains arrêtés avant nous avaient été torturés. […]

L’expérience de la déportation[3], personnellement je dis toujours, moi j’ai eu la chance de revenir vivant. […] »

 

 

Notes :

1/ Daniel Fradin – Fils de Noémie et Camille Fradin habitant au Noirvault (village situé à quelques kilomètres de Moncoutant).

2/ Le Groupe « Le Chouan » s’est constitué en 1943 en partie avec des réfractaires au STO dans le département de la Vienne. Surtout actif à partir du printemps 1944, il participe aux combats de la Libération. Daniel Fradin et Jean Rousseau sont arrêtés lors d’une embuscade dans la forêt de Lussac-les-Châteaux. Daniel Fradin, déporté le 18 août 1944 à Buchenwald, périt à Neu-Stassfurt en avril 1945.

3/ Jean Rousseau est déporté en août 1944 à Neuengamme. Il est libéré en mai 1945.

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