Centre Régional Résistance & Liberté

La répression contre les intellectuels, l'exemple d'Ernest Pérochon

Le Régime de Vichy tente de rallier les intellectuels aux rangs de la collaboration.

La vie et l'écriture avant 1940

Mobilisé en août 1914 et envoyé sur le front de Lorraine au Grand Couronné près de Nancy, Ernest Pérochon, jeune instituteur à Vouillé, alors âgé de 29 ans, tombe, un mois après, victime d'une violente crise cardiaque, au cours d'un engagement, près de son camarade qui vient d'être tué, fauché par un obus allemand. Sauvé, il est rapatrié sur l'arrière et versé dans le Service auxiliaire. Mais il sera toute sa vie hanté par ce qu'il a vu et vécu pendant ce triste mois.

L'instituteur, qui écrivait pendant ses heures de liberté, remporte le Prix Goncourt en 1920, pour son roman « Nêne », qui sera traduit dans une dizaine de langues. Il quitte l'enseignement pour se consacrer à l'écriture. De nombreux ouvrages suivront, y compris des ouvrages pour enfants. Le succès de l'écrivain ne cesse de croitre, en France et à l'étranger, notamment en Allemagne où il est très apprécié .

Devenu un écrivain reconnu, il est invité, à plusieurs reprises, à se rendre en Allemagne pour des tournées de conférences pendant lesquelles, lui dit-on, il sera reçu par le Führer. Son traducteur, écrivain lui-même et homme de paix, insiste. Inquiet, pour ne pas dire angoissé, et profondément choqué par la montée du nazisme et de la dictature, Ernest Pérochon répond, invariablement qu'il n'ira pas en Allemagne tant qu'Hitler sera au pouvoir et que la démocratie et la justice y seront bafouées.

1940-42, le refus de la collaboration

La déclaration de guerre le bouleverse.

À partir du printemps 1940, il se dévoue nuit et jour à l'accueil des réfugiés qui arrivent à Niort, dans le cadre du Centre d'accueil pour les réfugiés, mais aussi en leur ouvrant sa maison.

Il ne cache pas sa colère face à la reddition, à Pétain et à la politique collaborationniste du gouvernement français. Fidèle à la République, à ses valeurs et à ses idéaux de liberté, de démocratie et de justice, patriote, il ne cache pas sa sympathie pour le Général De Gaulle, et refuse catégoriquement toute forme de collaboration avec les autorités de Vichy qui, conscientes de sa notoriété grandissante, souhaiteraient pourtant son soutien. Dans une lettre, l'écrivain Alphonse de Chateaubriant lui demande d'écrire dans la Gerbe, organe de la collaboration, journal anticommuniste, antirépublicain, antisémite et raciste, journal qu'il dirige. Malgré son insistance, Ernest Pérochon refuse.

Lettre à Ernest Perrochon, 1941 © CRRL-Fond famille Debenest [2]

Lettre d'Alphonse de Chateaubriant, août 1941 © CRRL-Fond famille Debenest

Deux personnes viennent à son domicile, avenue de Limoges pour lui demander, une nouvelle fois, son soutien pour le gouvernement de Vichy et l'occupant. Très en colère, Pérochon les chasse sans ménagement : « Vous vous trompez de porte, Messieurs ; je ne suis pas votre homme ». Pressions aussi de la part des autorités locales : on lui demande de démissionner des Conseils d'Administration du Lycée de Jeunes Filles et de la Bibliothèque, ce qu'il refuse catégoriquement. Le Préfet ne néglige aucune occasion de faire pression.

Inébranlable dans son refus, Ernest Pérochon ne se fait pas d'illusions ; il dit à son ami Guilloteau ( « La Civette » à Niort) chez lequel il achète son journal et le tabac pour sa pipe : « Vous verrez, mon vieux, on ira là-bas ! » (Guilloteau, membre du réseau Delbo-Phénix, mourra au camp de concentration de Buchenwald).

Deux des ouvrages de l'écrivain sont interdits sous des motifs futiles : « la Parcelle 32 » à cause du mot « boche » et « À l'ombre des ailes » en raison de la présence sympathique d'un pilote anglais. L'écrivain ne cède pas pour autant.

En Janvier 1942, le préfet de la collaboration finit par convoquer Ernest Pérochon pour lui demander pour la dernière fois sur un ton ferme, d'accepter de soutenir la politique de Vichy. Devant un nouveau refus catégorique de l'écrivain, il lui montre la lettre de dénonciation parvenue à la Gestapo, l'accusant d'être « gaulliste, propagandiste et agitateur de la jeunesse » ; le Préfet insiste encore et s'attire une réponse cinglante: « Je préfèrerais casser ma plume ... En effet, Monsieur le Préfet, j'ai des idées bien arrêtées à ce sujet, et personne ne m'en fera changer ». L'écrivain se lève et quitte le bureau au moment où le Préfet le menace : « Eh bien, Monsieur Pérochon, vous savez désormais, à quoi vous attendre. »

La violence de la menace réveille la maladie cardiaque d'Ernest Pérochon et ce, d'autant plus qu'il la cache à sa famille.

Quelques jours plus tard, le 10 février 1942, Ernest Pérochon s'éteint, victime d'un infarctus majeur. Le Préfet interdira toute manifestation officielle pour ses obsèques, le 13 février, y compris de la part des enfants des écoles. Il demandera aux autorités locales de ne pas y assister. La population s'y rendra, par contre, en foule et un groupe d'enfants avec son institutrice déposera des fleurs, en cachette, le lendemain, sur sa tombe.

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