Centre Régional Résistance & Liberté

La cache des Juifs en Deux-Sèvres, l'exemple du Noirvault

Hameau isolé à 6km de Moncoutant (79), le Noirvault devient, durant l'Occupation, un refuge pour 7 enfants juifs ainsi que 2 adultes. Tous menacés d'arrestation dans la capitale, une partie d'entre eux doit sa prise en charge à l'organisation de résistance le Mouvement National Contre le Racisme (MNCR).

­La traque des juifs en Deux-Sèvres (1940-1944)

Pour les Deux-Sèvres, 184 personnes (femmes, vieillards et hommes) sont arrêtées par la police et la gendarmerie françaises lors des rafles massives orchestrées par les services de la Gestapo à partir de juillet 1942. Ces victimes s’étaient inscrites sur les registres du recensement imposé par l’occupant en septembre 1940 (370 personnes recensées pour le département) et avaient reçu l’étoile jaune, conformément à l’ordonnance allemande de mai 1942 (345 personnes l’ont reçu dans le département).

À ces chiffres, il faut ajouter 54 enfants raflés âgés, dans leur très grande majorité, de 5 à 16 ans. Parmi eux, 2 sont fusillés, 52 sont déportés, seuls 6 d’entre eux survivront à la déportation. Tous avaient été fichés dans le département des Deux-Sèvres. Parmi les enfants « bloqués » car fichés dans le département, 21 seront sauvés grâce à des initiatives individuelles et collectives (prise en charge par des voisins ou amis de la famille après l’arrestation de leurs parents, hospitalisation grâce à la complicité de médecins, etc.), ou encore grâce à l’action organisée des pasteurs dans le Pays Mellois ou dans le Bocage.

Les enfants cachés, quant à eux, n’existent pas aux yeux de l’administration. La plus grande discrétion est de rigueur. Leur état de juif ne doit être connu que des familles d’accueil ou de quelques rares intimes. Pour beaucoup, ils sont des réfugiés venus se refaire une santé à la campagne ou de lointains cousins de la famille. Venus d’ailleurs, leur refuge est orchestré par des mouvements de résistance (Mouvement National Contre le Racisme [6], etc.) et des organisations mises sur pied dans les milieux protestants par les pasteurs Fouchier, Jospin, Roullet, Cramer, Casalis, Riebel, etc. qui ont su alerter leurs paroissiens, susciter un mouvement de solidarité et organiser l’hébergement au cœur de la population melloise ou du Bocage.

Plus des 2/3 des enfants cachés l’ont été dans des foyers protestants ou de culture protestante. À Parthenay, Mme Lemanner, directrice de l’Institution catholique Notre-Dame de la Couldre, cache dans son école cinq jeunes filles qu’elle est allée chercher à Paris.

Aucun des 48 enfants cachés dans les Deux-Sèvres ne sera arrêté. Preuve de l’efficacité du refuge ainsi organisé.

Source : Jean-Marie Pouplain - 2005

Ordre darrestation des juifs, octobre 1942 © Archives départementales des Deux-Sèvres [7]

Ordre d'arrestation octobre 1942 : Première rafle en Deux-Sèvres
© Archives départementales Deux-Sèvres

Ordre darrestation des juifs, janvier 1944 © Archives départementales des Deux-Sèvres [8]

Ordre d'arrestation janvier 1944 : Seconde rafle en Deux-Sèvres
© Archives départementales Deux-Sèvres

Le Noirvault : terre de refuge

Isolé dans une zone boisée et à l’abri des regards, situé à quelques kilomètres de Moncoutant, le village du Noirvault offre un espace de sécurité propice aux sauvetages de persécutés et pourchassés. C’est parmi les neuf familles (sept protestantes et deux catholiques) que compte cette localité que seront cachés, à partir de l’été 1942 et au lendemain de la rafle du Vel d’Hiv, sept enfants et deux jeunes mères. Thomas Kasmann (10 ans), Benoît Rayski (4 ans), Madeleine Barszczewski (moins de 10 ans), Paulette Braun (12 ans) Gabriel-Guy Neustadt (7 mois) et sa mère Anna Neustadt (18 ans), Elie et Bernard Pitel (frères jumeaux et très jeunes enfants) et leur mère Rachel Pitel trouvent refuge grâce à la filière organisée depuis Paris par Eva Fradin (native du Noirvault et fille de Noémie et Camille Fradin qui hébergent les enfants) et Léon Chertok. Un point commun unit ces enfants : des parents luttant contre l’antisémitisme, le racisme et le national-socialisme, engagés dans des mouvements de résistance (section juive de la Main d’œuvre immigrée (MOI), Mouvement National Contre le Racisme (MNCR) [9], etc.) ou proches de ces derniers.

­­­Noemie Fradin et Gabriel-Guy Neustadt, Le Noirvault, 1944 © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophes [10]

Noémie Fradin et Gabriel Guy
Neustadt, Le Noirvault, 1944
© Conservatoire de la Résis-
­tance et de la Déportation
des Deux-Sèvres

Grâce à la mobilisation, la complicité et la solidarité de tout un village, les jours s’écoulent loin de l’oppressante présence policière parisienne, loin des risques permanents d’arrestations. Les enfants fréquentent l’école de Pugny sous une fausse identité et avec la complicité de l'institutrice. Noémie et Camille Fradin les hébergent. Tous unanimement les accueillent et veillent sur eux. 

Ces enfants bénéficient de l’affection des habitants du village et des pourchassés qui ont également trouvé refuge ici : Jean Rousseau [11], Daniel Fradin, René Marty, tous trois réfractaires au STO [12], Sam Leblond (prisonnier de guerre évadé), Jean Koenig (étudiant en théologie) et René Thomas (proche collaborateur de Louis Jouvet). Les liens familiaux, amicaux ou encore l’assistance organisée par les pasteurs deux-sévriens assurent à ces jeunes hommes une cache au Noirvault.

La fraternité caractérise le village comme le souligne Guy Micheneau :

Les fêtes dans le village étaient souvent organisées par René Thomas qui était hébergé dans la maison de mes parents, Germaine et Moïse Micheneau. Il est arrivé en 1942 ou 1943. Prisonnier évadé, il a trouvé refuge au Noirvault. Nous le considérions comme un grand frère. Il mettait du théâtre dans chacune de ses paroles. Nous montions ensemble des pièces de théâtre. Nous jouions les scènes dans les maisons du village. Et les veillées. Quels souvenirs.

Pour autant, les risques ne sont pas absents. Au printemps 1944, sur dénonciation, les services de la Gestapo entrent dans le village. Là encore, la solidarité s’est exprimée. « Nous faisions bloc derrière les enfants ». Ni les enfants encore présents dans le village, ni les pourchassés ne seront inquiétés. Pour eux, sauf Gabriel Guy qui reste au Noirvault jusqu’à la Libération, le pasteur Casalis et ses paroissiens organisent un nouveau refuge. Aucun des enfants cachés au Noirvault ne sera arrêté.

Témoignage de Léon Chertok alias «Alex», «Liova»

[13]

­­Léon Chertok, Le Noirvault, 1942 © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophes [14]

Léon Chertok, Le Noirvault,
1942 © Conservatoire de la
Résistance et de la Déporta-
tion des Deux-Sèvres et des
régions limitrophes

Léon Chertok (1911-1991) étudie la médecine à Prague quand, en mars 1939, les troupes allemandes entre dans la capitale Tchécoslovaque. Il fuit l’Europe de l’Est pour Paris où il réside à partir du printemps 1939. Juif Polonais, engagé contre l’antisémitisme et le national-socialisme, il se lie d’amitié avec des intellectuels, des artistes, des militants communistes.

Dès l’été 1940, il participe à la diffusion de tracts, à des réunions clandestines, etc. Acteur du groupe « Solidarité » issu de la section Juive de la Main d’Oeuvre Immigrée (émanation du Parti communiste), puis du Mouvement National Contre le Racisme, il a en charge la responsabilité du sauvetage des enfants et familles juives persécutés. En 1941, il entre dans la clandestinité. Avec Eva Fradin (institutrice à Paris), il organise le refuge vers le Noirvault chez Noémie et Camille Fradin.

J’ai commencé à venir ici en 1941. Qu’est-ce que je faisais ici ? J’étais en quelque sorte en résidence forcée. En exil. Quand j’ai été obligé de quitter Paris parce que cela devenait trop dangereux de rester à Paris à ce moment là. Je prenais en quelque sorte des vacances et je venais ici pour dix jours ou quinze jours pendant trois ans. C’était une résidence forcée mais en même temps je dois dire c’était un séjour parfois même joyeux puisque que je me souviens très bien des jeunes du village qui mettaient de l’animation. Je me souviens surtout des veillées pendant lesquelles nous parlions, parlions, parlions. Et dans cette période j’ai eu une chance inouïe d’être tombé sur ce village du Noirvault où j’ai découvert un monde. Un monde que je ne connaissais pas avant et je vivais entre deux mondes : le monde parisien où c’était l’enfer parisien, policier et, le monde ici où j’ai découvert des êtres humains et qui m’ont aidé. Grâce à ces séjours ici, chaque fois quand je revenais ici, je repartais plein d’énergie pour pouvoir lutter et continuer le combat.[…]

En somme j’ai trouvé ici une famille adoptive, de mère adoptive, de père adoptif, des frères et des sœurs. Et puis il y avait aussi les enfants qu'avec Eva on acheminait ici [...].

Extrait du témoignage de Léon Chertok. 40ème anniversaire de la libération de Moncoutant - Septembre 1984

Avril 1944, risque d’arrestation dans les rues de Moncoutant par les services de la Gestpo

Réussissant à échapper aux recherches, « Jacqueline »1 est prise en charge par le pasteur Casalis qui la conduit à La Métière. Là, elle est confiée Mr et Mme Guérin. Elle a dormi dans la grange sur du foin. Ensuite, le pasteur Casalis la conduit au Plessis de Moncoutant à deux kilomètres du Noirvault. Là, Nicole Micheneau l’accompagne en vélo à Bressuire où elle prend le train pour Lyon. A Lyon, elle rencontre son futur mari (le Docteur Grimberg) et entre en résistance. Gabriel-Guy, par mesure de sécurité, est laissé au soin de la population du Noirvault.

Dans le village, la population se mobilise pour prévenir les enfants qui sont à l’école à Pugny. Roger Micheneau, mon frère, prévient l’institutrice, Jeanne Limeuil, de la descente de la Gestapo au Noirvault et l’avertit des dangers qui pèsent sur Thomas et Paulette2. Les deux enfants sont hébergés pour la nuit au domicile de leur institutrice. Ils sont ensuite placés à la Barillonière chez Mr et Mme Geollot.

Nous sommes très rapidement devenus amis avec « Jacqueline ». Elle était âgée de 18 ans. Le soir, quand je trayais les vaches, elle venait me rejoindre dans l’étable, s’asseyait sur la sellette et nous discutions ensemble. A son arrivée à la gare de la Chapelle Saint Laurent, j’étais allé la chercher en voiture à cheval avec mon frère. Nous savions qu’elle était juive.

La Gestapo n’est jamais revenue dans le village. Par la suite Noémie Fradin a été convoquée à la kommandantur de Niort. C’est vêtue de guenilles qu’elle se rend à la convocation. Volontairement, elle donne l’image d’une paysanne arriérée. Là, elle a su que la piste du Noirvault avait été suivie suite à une dénonciation. Des lettres de délation lui ont été montrées au cours de son interrogatoire.

1 Fausse identité d'Anna Neustadt

2 Thomas Kasmann et Paulette Braun

Extraits du témoignage de Guy Micheneau. Le Noirvault – Décembre 2007

Les « Justes parmi les Nations »

Créée par le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem en 1963, cette distinction est décernée aux personnes qui ont porté, au péril de leur vie, aide et assistance aux Juifs menacés.

Dans les Deux-Sèvres, quinze personnes ont été honorées du titre de « Justes » pour leurs actions de sauvetage :

- Pierre Fouchier

- Noémie Fradin

- Auguste et Marie-Louise Garnaud

- Auguste, Rachel et leur fils Roger Gautron

- Lucile Godrie

- François et Léontine Naffrechoux

- Jacques et Louise Pelletier

- Suzanne Raynaud

- Georges et Marcel Roy

La distinction de "Juste", ne doit pas faire oublier que les sauvetages sont pour la plupart le résultat d'une multitude d'actions individuelles qui mises bout-à-bout contribuent à leurs succès. Ces chaînes de solidarité sont le fait de plusieurs personnes et le nombre d'individu ayant aidé des juifs, soit par leur attitude bienveillante, soit par un geste d'entraide ou de solidarité, s'il n'est pas connu précisément, est plus élevé que le nombre de Justes recensés.

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