Centre Régional Résistance & Liberté

Le Mur de Berlin

Du blocus de Berlin aux lendemains de la dernière guerre mondiale et l'édification du mur en 1961, jusqu'en 1991, année de sa destruction totale, annonçant une nouvelle ère pour l'histoire de l'Europe, histoire d'un pays déchiré.

Introduction

La nuit du 9 au 10 novembre 1989 reste symbole de liberté en Europe. À la stupeur de tous, le «mur de la honte» divisant Berlin depuis 28 ans chute. Les Berlinois de l’Est le franchissent enfin librement.

«Le rideau de fer» tombé sur le continent européen au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se fissure. Désormais à l’Est, les chars soviétiques ne rétabliront plus l’ordre comme ce fut le cas à Berlin-Est en 1953, à Budapest en 1956, à Prague au printemps 1968. En Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie puis en Roumanie, les coups de butoir portés par les dissidences renversent les dictatures au pouvoir depuis 1948-1949.

    Chute du mur de Berlin et ouverture du «Rideau de fer» nourrissaient l’espoir, il y a 20 ans, de la fin des divisions. Depuis, à l’heure de la mondialisation, de l’ouverture des frontières, de la libre circulation, d’internet, l’homme construit des dizaines de murs. En acier, en béton, en barbelés. Entre Israël et la Palestine aux frontières de la Cisjordanie. Entre les États-Unis et le Mexique. En Irak, l’armée américaine a entrepris d’ériger depuis avril 2007 un mur de protection autour du quartier sunnite d’Adhamiyah enclavé dans l’est de la ville à majorité shiite. Dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla entreprise est faite d’ériger une clôture.

Le soulèvement ouvrier de juin 1953

En 1953, le Parti socialiste unifié (SED), placé sous la direction du leader stalinien Walter Ulbricht [5], impose aux travailleurs des conditions de travail de plus en plus contraignantes. Les 16 et 17 juin 1953, des grèves insurrectionnelles éclatent à Berlin-Est sur les chantiers de construction de la Stalinallee et se propagent rapidement dans toute l'Allemagne orientale. Les chars du commandement militaire soviétique de Berlin-Est interviennent contre les travailleurs est-allemands qui se soulèvent contre le régime, réclamant des élections libres et le retrait du gouvernement de Walter Ulbricht et Otto Grotewohl. Étendue à l'ensemble de la RDA, la révolte fut totalement écrasée le 19 juin. On compte au moins 80 morts et 25000 arrestations.

Ce soulèvement démocratique et anticommuniste vaut à Beria, le chef du NKVD (police politique), d'être évincé du pouvoir russe le 26 juin suivant, arrêté et aussitôt exécuté sur les ordres de l'apparatchik Nikita Khrouchtchev [6].

L'échec de la révolte de juin 1953 va entraîner la fuite de plusieurs centaines de milliers d'Allemands de l'Est vers la République fédérale d'Allemagne (RFA). En quelques années, plus de deux millions de personnes passent ainsi de l'Est vers l'Ouest. Pour stopper cet exode massif et continu qui affaiblit l'économie du pays, la RDA va finalement empêcher le passage à l'Ouest en construisant le mur de Berlin.

La construction et les premières années du Mur

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 Bernauerstrasse, 1961. Juchée sur des escabeaux, une famille fait des signes vers Berlin-Est, de l’autre côté du Mur © Centre Régional Résistance et Liberté - coll privée [8]

© Centre Régional
"Résistance & Liberté­"

La nuit du 13 août 1961 débute la construction du mur de Berlin décidée par le gouvernement Est-allemand, avec le soutien de l'URSS, pour stopper l'émigration des Allemands de l'Est vers la RFA. En quelques jours, la partie ouest de la ville est totalement cerclée par une muraille infranchissable longue de 155 kilomètres. Des maisons sont alors murées, des amis et des familles séparés. Les Occidentaux sont indignés par ce qu'ils nomment « le mur de la honte ». Le rideau de fer est tombé. Les murs et barbelés mis en place atteignaient une hauteur de 3,60 mètres. Le No Man’s Land entre ces éléments mesurait entre cinq et plusieurs centaines de mètres. Du 22 août 1961 au 9 novembre 1989, le passage entre Berlin-Ouest et Berlin-Est était régi par sept postes-frontières intra-urbains et un point de passage ferroviaire. Le trafic entre la République Fédérale d'Allemagne et Berlin-Ouest était assuré par des liaisons autoroutières dites de transit, avec leurs propres postes-frontières.

 

Réactions politiques

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 Une rue à Berlin-Est. Des soldats soviétiques surveillent le Mur © Centre Régional Résistance et Liberté - coll privée [10]

 © Centre Régional "Résistance & Liberté­"

Suite à la construction du mur le 13 août 1961, les trois commandants occidentaux (le 15) et les trois gouvernements (le 17) protestent auprès des Soviétiques. Dans les jours qui suivent, les États-Unis envoient un renfort symbolique de mille cinq cents hommes à Berlin-Ouest. Le 22 août, l'URSS demande que ses avions ne soient plus utilisés par les dirigeants ouest-allemands pour se rendre à Berlin et que les vols civils soient soumis au contrôle de la RDA. À la fin du mois, c'est la reprise des essais atomiques soviétiques. Le 19 septembre, M. Spaak, ancien secrétaire général de l'OTAN, qui est favorable à la conciliation, se rend à Moscou sur la demande de M. Khrouchtchev. Dix jours plus tard un entretien entre Rusk et Gromyko amorce un dialogue entre Soviétiques et Américains à propos de Berlin. Le 7 février 1962 c'est la reprise des essais nucléaires anglais et américains. En septembre, M. Khrouchtchev menace à nouveau de signer un traité de paix séparé. La crise provoquée par la présence des fusées soviétiques à Cuba (15-28 octobre) mettra définitivement fin à ses pressions.

L'année suivante les Berlinois de l'Ouest ayant des parents à l'Est obtiennent des laissez-passer pour Noël. À partir de la fin du mois de décembre jusqu'au 5 janvier près d'un million cinq cent mille Berlinois franchissent le mur. En février 1964, l'octroi des laissez-passer est suspendu pour Pâques. En août, Berlin-Est accuse Bonn de mettre des obstacles à la signature d'un nouvel accord pour le passage du mur. En septembre, les retraités est-allemands sont autorisés à voyager à l'Ouest, puis c'est la signature entre le Sénat et la RDA d'un accord sur les laissez-passer valable pour octobre 1964, Noël et le Nouvel An, Pâques et la Pentecôte. De nouveaux accords sont signés ensuite pour les fêtes en 1966. En 1967, la RDA prolonge de deux mois l'accord sur les laissez-passer pour « raisons de famille urgentes ». 

 

Diaporama

© Centre Régional Résistance et Liberté - Collection particulière

« ICH BIN EIN BERLINER »

Extrait du discours de John F. Kennedy lors de sa visite à Berlin le 26 juin 1963

La paix en Europe ne peut pas être assurée tant qu'un Allemand sur quatre sera privé du droit élémentaire des hommes libres à l'autodétermination. Après dix-huit ans de paix et de confiance, la présente génération allemande a mérité le droit à la réunification de ses familles et de sa nation, pacifiquement et durablement. Vous vivez sur un îlot de liberté, mais votre vie est liée au sort du continent.

Ne voyez pas le mur, envisagez le jour où éclatera la paix, une paix juste. La liberté est indivisible, et tant qu'un seul homme se trouvera en esclavage tous les autres ne peuvent être considérés comme libres.

Mais quand tous les hommes seront libres, nous pourrons attendre en toute confiance le jour où cette ville de Berlin sera réunifiée et où le grand continent européen rayonnera pacifiquement.

La population de Berlin-Ouest peut être certaine qu'elle a tenu bon pour la bonne cause sur le front de la liberté pendant une vingtaine d'années. Tous les hommes libres, où qu'ils vivent, sont citoyens de cette ville de Berlin-Ouest, et pour cette raison, en ma qualité d'homme libre, je dis : ich bin ein Berliner (je suis un Berlinois).

Tensions et négociations (1968 - 1972)

Le 26 avril 1968, Schütz, nouveau bourgmestre de Berlin-Ouest, est refoulé par les autorités est-allemandes à la sortie de la ville. En juin, la RDA impose passeports et visas pour les déplacements par voie de terre entre la République fédérale et Berlin. En février 1969, les prochaines élections présidentielles, qui doivent se dérouler le mois suivant à Berlin-Ouest provoque un regain de tension. En juillet, Gromyko déclare devant le Soviet suprême que l'URSS serait disposée à des échanges de vues sur Berlin.

Le 21 octobre Willy Brandt [11] devient chancelier. Dans sa déclaration ministérielle du 28, il propose des discussions à la RDA. Le 26 mars 1970, c'est la première rencontre à quatre depuis 1959 (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France), et les pourparlers débouchent le 12 août sur le traité germano-soviétique, quand Brandt [12] se rend à Moscou. En novembre les conversations interallemandes reprennent et à la fin du mois, Brejnev [13] annonce qu'un assainissement de la situation est « parfaitement réalisable » en ce qui concerne Berlin-Ouest.

Le 31 janvier 1971, les liaisons téléphoniques directes entre les deux parties de la ville sont rétablies après presque vingt ans de coupure. En février 1971, M. Kohl [14] arrive pour la première fois à Bonn par avion sans emprunter les « couloirs» aériens au-dessus du territoire de la RDA où, en mai, Erich Honecker [15] succède à Ulbricht [16]. Après des impasses le climat s'améliore, on inaugure à Berlin-Est des « circuits» hebdomadaires de quarante-huit heures pour les allemands de l'ouest. À la fin du mois d'octobre Brejnev s'entretient à Berlin-Est avec les dirigeants de la RDA et leur suggère de hâter la conclusion de l'accord interallemand. Le 5 novembre, Erich Honecker déclare que : « La conclusion positive des négociations avec Bonn est possible avant la fin du mois de novembre. » Les multiples négociations aboutissent, le 3 décembre, à la signature de l'accord interallemand et, le 17, sur celui de la circulation en transit entre la République fédérale et Berlin-Ouest. En avril 1972, par application anticipée de l'accord, tous les Berlinois de l'Ouest sont autorisés à voyager - pour Pâques - à Berlin-Est et en RDA.

NUIT D'ALLÉGRESSE À BERLIN

Le 11 novembre 1989, Henri de Bresson, envoyé spécial du journal Le Monde, écrit un article sous ce titre dont voici deux extraits :

« Un morceau du mur de Berlin est tombé cette nuit. Des milliers de Berlinois et d'Allemands de l'Est ont franchi, aux premières heures du vendredi 10 novembre, les divers points de passage entre les deux parties de la ville pour se rendre quelques heures à Berlin-Ouest, où leur arrivée a suscité une gigantesque fête dans le centre-ville et aux abords du mur. Le Conseil des ministres est-allemand avait annoncé jeudi soir, que tout citoyen de RDA pourrait dorénavant emprunter les points de passage le long de la frontière inter-allemande et, à Berlin, sur simple présentation d'un visa délivré à la demande dans les commissariats de police.»

Les deux Allemagnes entrent à l'ONU en 1973 et échangent des représentants.

«Berlin-Ouest a été toute la nuit à la fête, et le Sénat de la ville a même siégé en urgence aux petites heures du jour pour délibérer. En fait, il n'y avait pas grand-chose à dire. On a seulement décidé d'accroître pour les jours à venir le nombre des autobus qui circulent entre les divers points de passage vers le centre-ville, en prévision d'un nouvel afflux. Mais on ne peut pas laisser l'Histoire se faire sans délibérations.»

Le souffle de la Pérestroïka et la chute du Mur

À la fin des années 1980, l’Europe de l’Est traverse des événements politiques et des transformations économiques qui modifient radicalement les données géopolitiques en Europe et transforment les institutions et les structures existantes.

Afin de moderniser l’URSS, le chef de l’État et du parti, Mikhaïl Gorbatchev [17], met en place de profondes réformes à partir de 1985. Renonçant à l'hégémonie soviétique sur le bloc de l'Est il envisage une coopération renforcée avec l'Ouest. La Pologne et la Hongrie mettent à profit ces nouvelles orientations. En mai 1989, les Hongrois furent les premiers à ouvrir une brèche dans le « rideau de fer ». Des centaines d'Allemands de l'Est se précipitent alors en Hongrie dans l'espoir de bientôt passer à l'Ouest. Dans le même temps une vague de contestation s’élève en RDA aux cris : «Nous sommes le peuple». Lors de ces manifestations, l’opposition interne qui veut défendre les droits civiques exprime pour la première fois publiquement ses critiques et ses revendications. Les « manifestations du lundi » à Leipzig en sont restées le symbole. Les structures de la RDA vacillent. La démission, le 18 octobre 1989, de Erich Honecker [18], secrétaire général du SED, président du Conseil d’Etat depuis de longues années marque le début de l’effondrement du régime du SED. Un million de manifestants à Berlin-Est entraînent la démission collective du gouvernement communiste le 7 novembre. Deux jours plus tard, annonce est faite de la décision du gouvernement de RDA vis-à-vis des Allemands de l’Est : « les voyages privés à destination de l’étranger peuvent désormais être demandés sans aucune condition particulière ».

Quelques heures plus tard, les douaniers de Berlin ne parviennent pas à faire face à la demande et laissent simplement passer. Les dirigeants de la RDA promettent alors des élections pour mai 1990 mais la poursuite des manifestations oblige à les avancer au 18 mars. C’est le chrétien-démocrate Lothar de Maizière qui devient chef du gouvernement de la RDA qui se prononce, le 12 avril, en faveur d’une Allemagne unie au sein de l’OTAN et de l’Union Européenne. La chute du mur accélère la fin des régimes communistes. L’Union soviétique implose. 

 

Ce numéro spécial de La Neue Revue illustrierte a probablement été édité le 11 novembre 1989. Les reportages très illustrés reviennent sur la nuit de la chute du Mur (9-10 novembre 1989). Les articles traitant l’histoire du Mur et les tentatives de fuite de la RDA vers l’Ouest veulent démontrer les bienfaits de l’ouverture du « rideau de fer » pour l’Allemagne de l’Est. Le dernier article témoigne du fort relais de cet événement dans la presse nationale de chacun des États européens.

 

neue revue couv © Centre Régional Résistance et Liberté [19]

Neue Revue © Centre Régional "Résistance & Liberté"

La réunification de l’Allemagne

Dans le processus très rapide de réunification de l’Allemagne, en 1990, le chancelier de la RFA, Helmut Khol va jouer un rôle essentiel. Lors de sa première visite officielle en RFA, Mikhaïl Gorbatchev [20] signe avec Helmut Khol [21], le 13 juin 1989, une déclaration affirmant leurs relations et leur « volonté de contribuer à surmonter la division de l'Europe ». Le chancelier propose en novembre un plan en dix points pour la restauration de l'unité allemande. Les événements s'accélèrent. La réunification se fait par extension de la RFA au territoire de l'ancienne RDA. Dès le 31 août 1990, le traité d’unification est signé à Berlin. Le régime politique et administratif de la RDA est étendu aux 5 Länders de la RDA. Berlin sera la capitale. Le traité entre en vigueur le 3 octobre. Les élections qui se tiennent en décembre célèbrent le succès de la coalition des démocrates-chrétiens-libéraux et ratifient ainsi la réunification.

Lieux commémoratifs sur le tracé du mur

Des lieux de mémoire ont été créés à Berlin-Ouest entre 1961 et 1989. Chacun d’eux documente la mémoire du passé. Dès 1990, les autorités en charge du patrimoine historique berlinois ont œuvré pour la conservation de certaines installations du dispositif frontalier. Plusieurs centaines de mètres du mur d’arrière-plan et du mur extérieur, ainsi que trois miradors, ont été classés monuments historiques. Les sept anciens postes-frontières entre Berlin-Est et Berlin-Ouest sont signalés aujourd’hui par des œuvres d’art.

Plus de 100 000 citoyens de RDA ont tenté de fuir leur pays par la frontière intra-allemande ou par le mur de Berlin. Plusieurs centaines d’entre eux ont été abattus par des gardes-frontières de RDA ou ont trouvé la mort lors de leurs tentatives de fuite. Le mémorial du mur de Berlin, la pierre commémorative Günter Litfin, le «parlement des arbres», le monument commémoratif du mur situé dans la maison Marie-Elisabeth-Lüders-Haus ainsi que d’autres lieux commémoratifs rendent hommage aujourd’hui aux victimes du mur.

La destruction officielle du Mur débute en juin 1990, à l'exception de six segments commémoratifs à Berlin. Le reste disparaît en novembre 1991. Les blocs de béton sont concassés et réutilisés notamment pour construire des routes alors que 250 segments sont vendus aux enchères. Aujourd’hui, le tracé historique du mur est visible dans la capitale. Son balisage par une ligne rouge ou par une double rangée de pavés traverse la ville sur une longueur de 20 kilomètres. L’écrivain allemand Peter Schneider déclare que "Démolir le Mur en pensée prendra plus de temps qu'il n'en faudra à une entreprise de travaux pour faire le même travail".


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