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L'Épuration : Les lendemains sombres

Si la Libération du territoire se fait dans la liesse populaire, elle est aussi une période durant laquelle vont s'exprimer les rancœurs accumulées durant ces quatre années d'Occupation. L'épuration permet d'évacuer et de juger les collaborateurs et fidèles du régime de Vichy dans les secteurs administratifs et économiques notamment.

Le double visage de la Libération : l'épuration

Avec la Libération, le climat est à la liesse populaire mais c'est aussi l'heure des règlements de comptes. Si dès 1943, les autorités de la Résistance ont décidé de châtier les traîtres et tous ceux qui se sont mis au service du régime de Vichy, elles ne contiennent que difficilement les débordements de l'été 1944.

L'épuration revêt un double caractère :

  • Entre juin et novembre 1944, au cœur des combats de la Libération, se déploie en France une épuration extra-judiciaire ou dite "sauvage". Épurer ne signifie pas simplement châtier les traîtres mais éliminer, mettre hors d'état de nuire des adversaires politiques, des ennemis de la démocratie et des partisans du nazisme ou présumés tels.
  • L'épuration légale ou judiciaire, avec la restauration de l'État Républicain, ne tarde pas à se mettre en place.

Graphique : Bilan des verdicts rendus par la Cour de Justice des Deux-Sèvres

L'épuration revêt différentes fonctions :

  • Fonction de sécurité contre des ennemis susceptibles de menacer la lutte libératrice sur ses arrières alors que les combats se poursuivent.
  • Fonction d'exutoire répondant à un besoin de violence d'une partie de l'opinion.
  • Fonction de réparation et de justice.
  • Fonction identitaire : la reconstitution du tissu social et de l'identité nationale passe par l'élimination des traîtres ou présumés tels.

L'épuration extra-judiciaire

L'heure des règlements de comptes a sonné ?

À la Libération, Les rancœurs accumulées au cours de ces 4 années d'occupation se libèrent. La traque des collaborateurs ou présumés tels s'intensifie.

Limitée mais présente, l'épuration extra-judiciaire ou "sauvage" ne peut être que partiellement contenue par les autorités de la Résistance et de la Libération dans le département des Deux-Sèvres.

Hors de tout cadre légal, ne s'embarrassant pas des principes de la justice, des petits groupes de résistants s'improvisent "justiciers". Un peu plus d'une dizaine de personnes sont ainsi exécutées de la manière la plus sommaire ou après être passées devant des "tribunaux clandestins" plus ou moins improvisés et composés de résistants. La suspicion et parfois les rancœurs d'avant guerre suffisent à convaincre les victimes - parfois sans preuves - de collaboration.

Si les victimes sont essentiellement des miliciens et des collaborateurs actifs, on assiste aussi à de véritables lynchages : femmes tondues, exécution en pleine rue…

Encouragés par une minorité de résistants, bien souvent de "la dernière heure", ces débordements expriment une haine trop longtemps contenue. Cette violence spontanée prend un caractère exutoire. Juges partiaux et justice expéditive caractérisent la purge de l'été 1944.

Entre l'été et l'hiver 1944, l'opinion publique semble porter une oreille attentive aux cris vengeurs tout en souhaitant une épuration régulière.

L'épuration sauvage : la tonte des femmes

­Tonte dune femme soupçonnée de collaboration dans les Deux-Sèvres - fin 1944 © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophes

Tonte d'une femme soupçonnée de collabo-
ration dans les Deux-Sèvres - fin 1944
© Conservatoire de la Résistance et de la
Déportation des Deux-Sèvres et des régions
limitrophes

Dans l'ensemble, ces tontes, la "coupe 44", sont pratiquées le jour de la Libération ou dans les jours qui suivent, dans des lieux symboliques (préfecture, mairie, place publique…) et sont censées châtier une collaboration charnelle avec l'ennemi. Si la collaboration "horizontale" est explicitement visée, cette pratique vise également les femmes considérées comme des collaboratrices par une personne ou un groupe de personnes détenant ou s'octroyant une forme de pouvoir, en un lieu et un moment donnés. Même si elles restent rares, les "tontes clandestines", au domicile de la personne, existent. Les coups les accompagnent parfois. Il en est ainsi pour G., résidant dans les Deux-Sèvres, chez laquelle une équipe de repris de justice se disant résistants est entrée. Ils l'ont bousculée dans la rue, frappée, violée et tondue. Pratique relevant de l'épuration stricto-sensu ou exaction ? La frontière entre les deux s'amenuise jusqu'à la confusion. Bien qu'éphémère, ce phénomène se joue dans les villes et villages deux-sévriens. Exhibées à la foule, promenées dans les rues, stigmatisées aux yeux de la société, mises au ban de la société. Combien sont-elles à avoir subit ces sévices ? Le quantifier avec précision est très difficile car combien n'apparaissent pas dans les rapports de gendarmerie, dans les procès verbaux ? Toutefois, ces pratiques concerneront, en France, environ 20 000 femmes entre 1943 et 1946.

Pourquoi ces sévices ? Pourquoi cette stigmatisation du corps féminin ?

Par son caractère purificateur, cette pratique semble vouloir effacer la culpabilité collective et restaurer dans l'ivresse de la Libération une identité nationale malmenée pendant 4 ans d'occupation.

L'épuration légale

Reconstruire la France selon les axes définis dans le programme du Conseil National de la Résistance, adopté à l'unanimité le 15 mars 1944, supposent l'élimination de tout ceux ayant commis des actes de collaboration entre le 16 juin 1940 et la libération (adhésion à des mouvements de collaboration ou de propagande, délation, zèle envers l'occupant, marché noir…). Parallèlement, les nouveaux pouvoirs veulent à tout prix éviter que la France soit le théâtre d'une guerre civile. De Gaulle, comme les ministres de la justice François de Menthon puis Pierre-Henri Teitgen, souhaitent une épuration judiciaire rapide et limitée dans le temps.

Si le Code Pénal de 1939 offre une base juridique, il ne prend toutefois pas en compte ni les délations ni les actes commis contre les Alliés (les dénonciateurs et les Français engagés dans la Waffen SS). Dès lors, le pouvoir gaulliste modifie la loi : l'ordonnance du 26 août 1944 définit un nouveau crime et crée son châtiment "l'indignité nationale" et "la dégradation nationale". Cette ordonnance donne satisfaction à l'opinion : "tout individu ayant porté préjudice à l'unité de la France et négligé son devoir national […] tombe sous le coup de la loi".

L'individu frappé de dégradation nationale perd de nombreux droits : civiques, politiques, civils et professionnels.

Une fois le cadre législatif posé reste à ordonnancer le cadre juridique. L'ordonnance du 26 juin 1944 institue les cours de justice et les chambres civiques. Celle du 18 novembre porte création de la Haute Cour de Justice.

Avant que ces instances judiciaires ne soient opérationnelles, le commissaire de la République, Jean Schuhler, instaure dans les départements de la Vienne et des Deux-Sèvres des tribunaux militaires et des cours martiales issus de la Résistance. Ils rendront peu de jugements.

L'épuration professionnelle, administrative et politique

L'épuration professionnelle, administrative et politique prolonge l'épuration judiciaire : 30 000 salariés des grandes entreprises publiques, fonctionnaires, militaires, magistrats, … sont sanctionnés à l'échelle nationale.

Les anciens responsables administratifs nommés par Vichy sont révoqués : le préfet des Deux-Sèvres, après quelques mois de prisons, est mis à la retraite sans solde, le maire de Niort est condamné à 1 an de prison en janvier 1946.

L'épuration politique, pour un renouvellement des cadres dirigeants, permet l'apparition d'une nouvelle classe politique. L'Assemblée Constituante de 1946 est ainsi composée à 85% d'élus effectuant leur premier mandat.

L'internement administratif

Dès le débarquement en Afrique du Nord, le Comité Français de Libération Nationale se pose la question de l'épuration et prononce, le 18 novembre 1943, la première ordonnance réglementant l'internement administratif.

Camps d'internement dans le département des Deux-Sèvres :

  • Niort
  • Melle
  • Salles (près de la Mothe Saint Héray)
  • Fénery (près de Parthenay)
  • Thouars
  • Bressuire

Au total, entre 300 et 340 personnes sont détenues entre novembre et décembre 1944 dans les Deux-Sèvres.

Graphique : Bilan des verdicts rendus par la Cour de Justice des Deux-Sèvres

La Chambre Civique, sur 1 341 affaires, prononce 120 non-lieux et classe 955 affaires sans suite. L'indignité nationale, pour des durées variables, reste la peine majoritairement prononcée. La Cour de Justice des Deux-Sèvres fait preuve de modération à la différence semble t-il de celle du département de la Vienne qui prononce 18 peines capitales. L'épuration se fait en douceur.

Entre le 1er et le 9 décembre, le transfert des internés vers Niort s'organise : la prison de Niort reste alors le seul lieu d'internement du département des Deux-Sèvres. Tous ceux qui ne peuvent être gardés sont dirigés vers Poitiers (pour les femmes) et le camp de Rouillé (pour les hommes).

L'épuration de la presse

­­presse 1944 © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophes

Extrait du Courrier de l'Ouest daté du 12
octobre 1944 © Conservatoire de la
Résistance et de la Déportation des Deux-
Sèvres et des régions limitrophes
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­Les journaux collaborationnistes nationaux et régionaux disparaissent à l'exemple du Mémorial des Deux-Sèvres. D'autres, souvent issus de la clandestinité comme la Nouvelle République (succédant à la Dépêche du Centre dont l'un des fondateurs est Emile Bêche) naissent dès septembre 1944. Le Petit Courrier devient le Courrier de l'Ouest. Les lecteurs deux-sévriens peuvent se procurer République, le journal du Comité Départemental de Libération des Deux-Sèvres.

Permettre la naissance d'une presse libre, rompre avec les pratiques du régime de Vichy, telles sont les volontés du Gouvernement Provisoire de la République Française.


    

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